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21 Avril 2025
Mon père s'affligeait de ne savoir rien de la vie de sa grand-tante, Thècle REIG-PY, sauf qu'elle était religieuse au «Sacré-Cœur-de-Jésus».
Je demandais à la congrégation si elle disposait de souvenirs de la vie de Thècle.
J'espérais peu. J'ai reçu beaucoup.
Le lendemain, ce texte mémoriel m'était adressé par Madame l'archiviste. Je le retranscris.
« L'existence de notre chère Mère Reig, rappelée à Dieu le 4 Décembre, peut se résumer : Âme de feu !
claire marguerite emma thècle REIG naquit à Port-Vendres (Pyrénées-Orientales) le 29 Juin 1866.
[Elle était la plus jeune enfant de Bonaventure REIG et Claire PY. N.D.L.R]
M. Reig, homme d'un autre âge, chrétien austère, jouissait de la considération générale. Il maintenait chez lui les principes de foi et d'honneur. Les œuvres de la paroisse et du diocèse, les nécessités du prochain, trouvaient toujours écho compatissant et généreux auprès de ces époux modèles, dont la fortune pouvait, du reste, suffire à tout. Mais le train de la demeure hospitalière, tout en étant facile et large restait simple, sans prétention. Auprès de sa pieuse mère, Thècle grandit entourée de soins et d'affection. Ses aînés, quatre filles et deux garçons, étaient en admiration devant la «petite sœur». Pour Marie, sa marraine, elle devait le rester jusqu'à son dernier jour.
Dès lors, la végétation luxuriante de son pays, ses riants aspects, son ciel toujours bleu, son soleil étincelant, la vue continuelle de la Méditerranée dont elle pouvait admirer à toute heure les vagues argentées, cet ensemble avait le don d'élever son âme faite pour les splendeurs et provoquait déjà des exclamations enthousiastes. Ses sœurs avaient été élevées dans notre maison du Vernet (près Perpignan.) Thècle y arrivait en 1877 pour y recevoir les sacrements de Confirmation et d'Eucharistie en Juin suivant. La Mère Anna Bernard était alors surveillante du petit pensionnat ; elle y maintenait l'ordre par sa fermeté constante, surtout en développant l'esprit de foi dans ces natures généralement préparées dans des intérieurs chrétiens à en retenir les leçons. La nouvelle venue se trouva tout à son aise dans ce milieu, y prit les initiatives d'un chef en herbe. «Elle était, dit un témoin, notre animatrice au moment des mois, des neuvaines et des fêtes. Thècle nous dépassait, non seulement par la tête, car sa taille élancée nous dominait, mais surtout par un élan, une générosité sans revirement. Il fallait la suivre ou encourir toutes ses foudres, car elle n'admettait pas la résistance ; aussi la redoutions-nous quelque peu...»
En récréation, intendante ou non, elle menait le jeu, dans tous les cours, du 4e au 1er. Il fallait lutter, résister, se démener sans trêve ; si un camp avait la chance de la posséder, il était sûr de triompher. Pour se soustraire aux poursuites, on franchissait bien quelque-fois la barrière des rosiers qui entouraient les prairies entre les beaux platanes du quinconce. Pauvres tabliers ! pauvres uniformes ! ils en portaient de longues traces, comme lorsque notre adolescente y laissa la moitié de sa jupe, mais elle avait échappé à l'ennemi !
Même ardeur guerrière et enthousiaste pour les travaux intellectuels. Thècle, bien douée, travaillait ferme, poursuivait et atteignait souvent la première place. En ces temps lointains il n'était pas question de baccalauréats et de diplômes, mais l'émulation régnait dans nos classes. Puis, on accumulait des mérites littéraires pour entrer à « l'académie » qui eut au Vernet des jours glorieux !
De cette époque on dit encore: « La piété de notre compagne nous faisait envie ; en ce temps, elle professait une dévotion spéciale à N.-D. de la Salette et au glorieux St Pierre. Un jour de congé, à sa grande joie, elle dut représenter notre Ste Mère Fondatrice et jouissait à se voir en religieuse du S. C. Nous la contemplions avec respect : plus que jamais. elle nous semblait à part» La bataille décisive n'était pas encore livrée! Nature aussi riche que forte, Thècle eut à lutter en proportion pour supporter et accepter, pour s'assouplir, pour s'assujettir, pour se dominer en un mot. Avant de décider sa vocation, le combat fut terrible... Mais elle avait une âme trop noble pour s'opposer longtemps à l'appel du Maître ! Avec le fiat ["oui" N.D.L.R.] le calme revint, non sans quelque détriment pour sa santé. On décida au changement d'air et la jeune fille passa l'année de sa classe supérieure à Conflans.
Rentrée dans sa famille, elle y dépensa son entrain, sa joie débordante, donnant largement à tous le bonheur par son dévouement et son affection. Ses frères et sœurs l'aimaient extrêmement ; ils se réjouissaient d'en faire désormais la compagne de leurs voyages et de leurs excursions, car ils se déplaçaient aisément. Thècle devait se poser à peine dans ce nid doux. Au printemps suivant, c'est-à-dire six mois après sa sortie du pensionnat, tandis que son père et son oncle maternel se trouvaient dans le jardin, elle s'approcha avec décision et exprima son désir d'entrer sans retard au S. C. M. X... engagea le pauvre père bouleversé à faire attendre son enfant : elle était si jeune, 18 ans! M. Reig se ressaisit néanmoins. L'expression de la volonté de Dieu était pour lui chose sacrée.
«La veille de la fête du S, C., dit encore une ancienne, notre chère compagne arrivait au Vernet. Pouvions-nous nous en étonner ? Revenir souvent au bercail était dans les traditions de notre pensionnat. Mais quelle émotion le lendemain, 20 Juin 1884, en entrant à la chapelle, de l'apercevoir avec un voile, dans la dernière stalle devant la plus jeune aspirante ! Pas de doute possible ! Thècle était postulante ! S'il y eut de l'agitation parmi nous, ce fut bien ce jour-là !»
Le 2 Juillet suivant, elle commençait à la Ferrandière un noviciat fervent sous la sage direction de notre R. Mère Adrienne Buhet. Sa cousine germaine, Jeanne Reig, vraie sœur d'âme, l'y rejoignit bientôt, attirée et conquise par un si bel exemple. Ce fut pour y mourir peu après en prédestinée.
Ma Sœur Reig prit l'habit le 13 Novembre 1884. Pendant la retraite préparatoire, après une méditation sur la Passion, la postulante note: «Je veux que ma vie, désormais perdue dans la vôtre, ô Marie, soit un chemin de croix continuel par le recueillement, la patience et la fidélité. — Docilité humble aux lumières du Saint-Esprit. - M'appuyer uniquement sur Dieu. — Reconnaître mon impuissance, et, de mes faiblesses même, faire ressortir la gloire de Dieu.»
L'époque des 1ers vœux approchait ; la novice s'y prépare sérieusement ; elle les a en vue pendant sa retraite annuelle: « Aller à Dieu dans la paix, dans la joie. Vivre de confiance. Pratiquer le mépris de moi-même, base de l'humilité. Conserver sur le visage une sérénité inaltérable; avec cette vertu une communauté est un petit paradis.»
Le 21 Novembre 1886, le Cœur de Jésus recevait les engagements de la fervente novice. Son premier stage apostolique fut de deux ans, à Avignon, où elle fut chargée de la 4e, puis de la 3e classe. Le second la ramena à Perpignan dès le mois d'Octobre 1888. On lui confia d'abord quelques surveillances, des leçons de piano, des cours de solfège, d'orthographe, d'arithmétique, puis elle fut nommée surveillante générale, emploi pour lequel elle était merveilleusement douée. Son caractère franc, loyal, énergique et décidé plaisait aux enfants qui l'aimaient beaucoup, parce qu'elles se sentaient comprises par cette maîtresse, leur compatriote. Celle-ci, à son tour, savait les prendre et tourner vers N.-S. ces natures ardentes, difficiles, si semblables à la sienne. Les notes des témoins éclairent cet aspect de la vie apostolique de ma Sœur Reig. Celles d'une des nôtres: «Elle savait gagner nos cœurs par sa loyauté, elle nous maintenait dans l'ordre par sa fermeté, le plus souvent par un mot original, mais qui trouvait le chemin des volontés parce qu'il partait d'une âme fervente».
Les enfants observent, comparent, voient parfois très loin... Les plus sérieuses discernèrent l'esprit surnaturel, l'abnégation de leur surveillante. Ce fut une première révélation de notre vie religieuse. Plusieurs se décidèrent à l'embrasser ; en effet, de sérieuses vocations germèrent alors dans ce terrain fertile. Pendant l'aspirat de ma Sœur Reig, une maîtresse de classe supérieure 2e année faisant défaut, elle s'en chargea quelques mois, ajoutant aussi de façon intermittente, suivant le besoin, des classes particulières à nos petites Espagnoles, souvent en groupe au Vernet.
Au mois de Février 1892, l'aspirante était appelée à la Maison Mère, boulevard des Invalides, pour y commencer sa probation. A l'école du cœur, ma Sœur Reig affermit les bases déjà posées, prévoit la marche en avant et la veut sans cesse ascendante. Les notes de son élection en font foi : «Repousser sans jamais me lasser les plaintes, les attendrissements, les vaines complaisances, les retours sur moi-même. Je recommencerai tous les jours à vouloir penser et agir comme si je me méprisais et me comptais pour rien. Avancer en pleine mer ; m'affranchir des bornes étroites de l'humain, du personnel, seule condition d'une abondante pêche d'âmes.»
Notre T. R. Mère Lehon reçut les vœux de la probaniste le 15 Août 1892 et lui donna obédience pour Perpignan. À la rentrée, Mère Reig reprenait auprès des enfants les deux emplois de surveillante générale et d'organiste. Ayant constaté de bonne heure chez ar fille des dispositions exceptionnelles pour la musique, ses parents l'avaient confiée à des maîtres de choix. Elle répondit à leurs soins, et se perfectionna rapidement. Plus tard, elle deviendra une excellente organiste. Son jeu était surtout viril, mais savait traduire tous les sentiments de son âme et les nuances de la supplication liturgique. L'enthousiasme communicatif de Mère Reig entraînait les enfants et leur faisait accomplir de vrais tours de force. Guidée avant tout par son zèle, elle voulait des chants parfaits, capables de faire prier les âmes et de les élever au-dessus des préoccupations terrestres; aussi, soignait-elle spécialement ceux qui devaient s'exécuter devant une nombreuse assistance. Pendant son jour à San Sebastián, elle eut pour la seconder un groupe choisi; elle l'apprécia et en usa en conséquence. Néanmoins à cette époque, un commencement de surdité gênait pour les versets et les répons ; l'instant de retard était vite racheté par une netteté d'accord impeccable. Mère Reig traitait sou chœur de chant avec bonté, sans admettre toutefois qu'il hésitât lui-même. Le soin des cahiers de musique, mis dans chaque maison à la disposition de l'organiste, comptait parmi les obligations les plus sacrées de cet emploi. Notre bonne Mère y voyait l'occasion d'un hommage à la sainte pauvreté.
Après cinq années de séjour à Perpignan, l'obéissance appela Mère Reig à poursuivre le même labeur dans notre maison de Pau avec tantôt la 7e, la 3e, la 5e ou la 4e classe. D'affreuses migraines la retenaient souvent dans sa chambre; mais dès qu'elle entendait. la cloche l'appelant soit au pensionnat, soit à la tribune, elle reprenait une nouvelle vie et préludait sur l'orgue de façon à soulever son jeune auditoire. Nul ne se serait alors douté de l'effort qu'elle venait de s'imposer.
Septembre 1900 fut l'époque de son départ pour Montpellier. En Août 1903, celle des fermetures et de l'expulsion. Pour notre bonne Mère, on essaie de prolonger son séjour en France à cause de sa santé délabrée. Elle reste à Avignon, puis à Chambéry jusqu'en 1907 ayant quelques surveillances. L'infirmité interrompait souvent le travail extérieur de notre chère Mère, non son activité apostolique sans cesse en éveil comme son amour; cette croix les alimentait. Dès cette époque, un mal cruel ravageait son organisme; la suite devait en découvrir l'étendue et l'esprit de mortification de notre chère Mère poussé jusqu'à l'héroïsme. En Août 1907, Mère Reig franchit la frontière espagnole pour arriver dans notre maison" de Godella (Valence.) Situé en pleine campagne, avec jardin, parc et bois de pins centeaires, le «petit paradis,» comme on le nommait, resta au fond du cœur de la nouvelle arrivante: sans cesse attirée par le grand et le beau ! Le bienfait de cette première station Espagne fut la rencontre de son Jésus visible, la D. Mère de Flaujac, dont la direction lui fut très aidante et dont elle usa largement jusqu'en 1910, année du départ de sa Supérieure pour Madrid.
Dès qu'elle sut parler le castillan, Mère Reig, déjà employée aux cours de français, de solfège, etc., organiste bien entendu, hérita d'une classe à l'école gratuite. Savoir s'adapter, proportionner à son auditoire était, chez elle, une qualité précieuse. Auprès des chères petites, elle déploya toutes les ressources de son esprit entreprenant et inventif. Elle fixait l'attention du menu peuple turbulent, par des images, des décorations, des démonstrations appropriées à l'enseignement du catéchisme, de la grammaire et du calcul. Une grande récompense, après des heures de silence, était de refaire « en comédie» le passage de l'histoire sainte étudié dans la semaine. Mère Reig obtenait ainsi des merveilles. Plus tard, elle s'occupa aussi des jeunes filles de l'école dominicale auxquelles elle fit un grand bien.
Sa dépendance de la maîtresse générale de l'école était parfaite et pleine de délicatesse Aucune de ses inventions ne fut appliquée sans avoir été d'abord proposée et approuvée. Aussi a-t-elle laissé à Godella un parfum de profonde édification. Il en fut de même à San Sebastián où une nouvelle obédience appelait Mère Reig le 29 Septembre 1922 pour y prendre sa part de l'œuvre de Dieu d'une façon analogue.
En débutant dans la vie religieuse, elle comprit vite la valeur de notre vœu de pauvreté. Elle s'étudia à lui témoigner son estime par une pratique constante et fidèle, ne se prévalant jamais de la bonne volonté de sa famille, de sa sœur aînée surtout, pour se procurer mille choses utiles, même nécessaires. Elle garda jusqu'au bout le missel de son entrée, bien incomplet pourtant. Le plus usé, le plus simple et commun attirait ses préférences comme le divin Modèle qui fut "Pauper in nativitate, in vita pauperior, in morte pauperissimus.» (Noté dans un cahier intime). Pour elle-même aucune exigence. Elle recevait en pauvre, avec reconnaissance, trouvant tout trop bien, trop bon.
La Providence va ramener notre bonne Mère sur le sol de France. Avant de quitter l'Espagne qui lui fut, pendant les années d'expulsion, une seconde patrie toujours très chère : réunissons les échos de là-bas non encore signalés. Dans des situations variées de lieux, de temps, de personnes, elle sut se maintenir au niveau des circonstances. Intelligente et bonne, Mère Reig voyait d'un coup d’œil le nécessaire à dire, à taire, à accomplir ou à laisser. Le désir du mieux, la tendance à la perfection en tout dirigeaient et inspiraient ses motifs. Aussi a-t-elle laissé des traces durables là où elle a passé. Filiale envers ses Supérieures, dévouée dans ses emplois, ses vertus religieuses brillèrent d'un vif éclat. En communauté, égale et aimable envers toutes, empressée à rendre service, humble et détachée, elle répandait les flammes de l'amour immense qui embrasait son âme. Une voix maternelle, après avoir insisté sur la profonde édification laissée par Mère Reig, ajoute: « Ces choses s'écrivent facilement, mais atteignent parfois jusqu'à l'héroïsme pour des personnes vivant dans un pays qui n'est pas le leur. La charité religieuse, il est vrai, rend les choses douces et faisables; néanmoins c'est justice de déclarer l'éclat de la vertu au moins à l'heure où l'humilité ne risque plus rien. »
Mère Reig était profondément religieuse ; l'étude de nos saintes Règles occupa la première place. En avançant dans la vie, elle en comprenait mieux les exigences, les forces, la beauté. Les commentaires de nos vénérées Mères ou des Pères Jésuites dévoués à la Société, faisaient l'aliment habituel de ses examens et retraites du mois. Armée du flambeau de notre loi religieuse, elle jugeait, appréciait, décidait les mobiles de ses moindres actes. Il résultait d'un tel ensemble un fonds de science de notre Institut appliqué constamment, et thème préféré de ses conversations. « De l'étroite observation des Constitutions et des Règles dépend tout le succès de l’œuvre de Dieu... » Brûlant du désir de contribuer à ce triomphe, de plus en plus ravie et conquise par les charmes du Cœur Sacré de Jésus, Mère Reig Le voyait partout; d'abord dans ses Supérieures, pour lesquelles elle professa constamment une dépendance filiale à toute épreuve, les mille délicatesses d'un cœur noble et attentif. Les personnes en charge étaient l'objet d'exquises prévenances. Pour nos Sœurs, quelle charité ! Bonne avec toutes, ses rapports étaient doux et agréables. Un rayon de ferveur émanait de cette religieuse si ardente, si pénétrée d'amour de Dieu. La R. Mère de Lavergne, sobre en éloges, disait : « Voilà une religieuse livrée à N.-S. et à la Société !»
Après un intérim à San Remo, Mère Reig vint à Bordeaux. À la Trésorerie, il y avait Après du travail pour l'heureuse arrivante. Des cours d'instruction et d'écriture, l'orgue et la porterie lui échurent en partage. « L'apôtre de cette année ne doit pas être l'apôtre de l'année dernière,» trouvons-nous sans date. Notre bonne Mère voulait le mieux: plus de sainteté pour un apostolat plus fécond. A la porterie, son nouveau champ d'action, il fallait la voir et l'entendre. Son accueil était de ceux qu'on n'oublie pas! Sa chaleur toute méridionale nous gagna de nombreux amis. Impossible de ne pas nous juger toutes aimables lorsque nous étions ainsi représentées dès le seuil de la maison. Pour les familles des nôtres, Mère Reig se surpassait. Aimable pour accueillir, pleine d'entrain pour égayer ses hôtes d'un moment, elle déployait pour les âmes affligées une puissance de compassion qui reposait et consolait avant même de s'être exprimée ! Notre bonne Mère, comme portière avait un autre rôle : soutenir l'autorité, à tous ses degrés, même quand un défaut d'expérience avait retardé l'heure de la sortie, au risque de mécontenter des parents pressés.
Plus nous la voyions ardente et expansive, plus nous devinions ce qu'il fallait d'abnégation à notre chère Mère pour supporter sa surdité, qui l'isolait ne l'obligeant à garder le silence pendant nos réunions. Elle y venait exactement, y restait affable, sereine, ne se permettant aucune question à ses voisines, qui pût la tenir au courant de la conversation générale. Une autre forme d'apostolat fut la correspondance de notre bonne Mère. Afin d'attirer la grâce elle supprima d'abord les lettres moins utiles, les autres firent beaucoup de bien.
Pendant son séjour à Bordeaux, Mère Reig laissa définitivement l'emploi d'organiste en raison de la surdité et d'une santé de plus en plus précaire. Ce détachement se fit le plus naturellement du monde. À Rangueil où elle séjournait durant les vacances, une personne fit allusion à ce sacrifice: « C'était ma vie, dit-elle, ajoutant aussitôt: vous comprenez le sens que je donne à ce mot: la musique était ma vie!... j'en faisais un apostolat; J'aurais voulu entraîner les âmes, les soulever, les faire monter vers Dieu, mais puis-qu’Il choisit le sacrifice, je veux le faire en plein. » En plein, sans rapine, sans retour inutile ; ainsi agissait notre bonne Mère à chaque détachement nouveau. Le don une fois déposé dans le Cœur du Maître, c'était fini; elle n'y touchait plus, n'en parlait pas, n'y revenait pas. Combien commode pour les remplaçantes! Il en fut de même pour son état de malade à poste fixe. Voulait-on avoir de ses nouvelles, par intérêt, par affection? elle détournait ce sujet par un trait d'esprit, une question, le plus souvent un élan surnaturel, remettant la conversation là où elle voulait la maintenir: au-dessus des choses d'ici-bas!
La solitude ne lui pesa jamais. Elle savait trouver Dieu; dans les Psaumes, notre chère Mère découvrait des harmonies nouvelles; au fond de son cœur, des cantiques aimés. Par mille moyens la vierge prudente entretenait sa lampe, ne vaudrait-il pas mieux dire « sa fournaise ?» « Aussi les moments près d'elle étaient ceux que je préférais, écrit une jeune professe. Avec notre fervente Mère il n'était question que de Lui, comme elle le disait avec un accent intraduisible: « Qu'Il est bon, n'est-ce pas, et qu'il faut aimer tout ce qu'Il choisit ! Il met là une telle grâce qu'on est toujours heureux. Voyez, je ne m'ennuie jamais, je ne me trouve jamais seule, car Il est là, Il-me parle, surtout je Lui rappelle tant et tant d'âmes éloignées de Lui! Alors qu'est-ce que la souffrance quand on peut Lui donner des cœurs!»
La victime était ornée pour le dernier holocauste. Après les vacances de 1935, Mère Reig ne revint pas à Bordeaux. Rangueil, avec l'organisation de la nouvelle infirmerie, à proximité de la chapelle, permettait aux malades de visiter facilement N.-S. La chère Mère communiait à la tribune, y entendait la Messe, et lorsqu'elle le pouvait, paraissait à nos réunions, mais cela... à quel prix ! Pendant les périodes de fatigue plus aiguë, M. l' aumônier lui portait la sainte Communion. Si un calme relatif survenait elle reprenait ses livres, travaillait pour la lingerie. Rien n'altérait sa bonne humeur, son joyeux entrain, elle acceptait son état avec une patience, une foi et un courage peu ordinaires. Son bon sourire accueillait invariablement ses visiteuses; elle ne se repliait jamais sur elle-même, restait toujours intéressante dans ses conversations, parce que toujours intéressée par ce qu'on disait de la maison, des enfants, de la Société. En Avril, nouvelle alerte : le docteur appel en toute hâte, déclara l'état très grave; à 9h du soir, M. l'aumônier montait à l'infirmerie pour l'administration des derniers sacrements, reçus en pleine connaissance; les réparation de notre bonne Mère furent touchantes. Puis, nouveau retour à la vie, bien employé ans pour gagner le Jubilé marial. Après cette grâce, l'allégresse de Mère Reig ne connut plus de bornes. Garder dans tout leur éclat les blancheurs de l'extrême-onction et du Jubile était son objectif.
Une de ses dernières joies terrestres fut le jubilé de la congrégation des E. de M. de Perpignan et l'érection au Vernet d'un petit oratoire à notre Ste Mère Fondatrice, dans l'humble cellule occupée par elle en 1836. Tenue au courant des moindres détails, elle exultait en voyant les témoignages d'attachement donnés par ces cœurs restés fidèles.
Le 4 Décembre, Mère Reig put encore recevoir N.-S., l'agonie commençait. Présente jusqu'aux derniers instants, elle répondait par un mot ou un sourire du Ciel à nos commissions pour l'Au delà. Trois fois l'absolution lui fut renouvelée, tandis que nos prières s cessaient pas dans ce vestibule du Paradis. Vers 4h, une de nos Mères lui présenta une statuette de N.-D. de Lourdes, elle la contempla avec amour, remercia du regard et, pea après, sans secousse recevait, nous l'espérons, la couronne promise aux vaillants.
A l'annonce de sa mort, M. le chanoine Joseph Marsal, notre ancien aumônier du Vernet, répondit: « Je vous remercie de m'avoir annoncé la mort de la Mère Reig dont j'ai gardé le meilleur souvenir. Elle était une de ces âmes en qui N.-S. aime à habiter. C'est pour cela que pendant sa vie, elle a multiplié les actes d'humilité, d'obéissance, de charité et a fait à Dieu pendant sa longue maladie les plus généreux sacrifices... Je suis sûr que le Cœur de Jésus qu'elle aimait tant lui a fait un bon accueil... J'envoie mes religieux souvenirs à toutes celles que j'ai connues pendant les 12 ans que j'ai passés au S. C., et qui ont été les plus doux de ma vie sacerdotale ! »
Je ne dispose d'aucun portrait de Thècle. Du moins que j'aie pu formellement identifier. Peut-être se cache-t-elle quelque part en tenue civile dans la galerie des anonymes ?